Les collections du département desarts graphiques Musée du Louvre
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DELATOUR Maurice Quentin


Ecole française

Portrait en pied de la marquise de Pompadour
Jeanne Antoinette Lenormant d'Étiolles, marquise de Pompadour (1721-1764)

1752/1755

INVENTAIRES ET CATALOGUES :
Cabinet des dessins
Fonds des dessins et miniatures
INV 27614, Recto

Anciens numéros d'inventaire :
NIII30912

LOCALISATION :
Réserve des pastels

ATTRIBUTION ACTUELLE :
DELATOUR Maurice Quentin

TECHNIQUES :
Pastel et rehauts de gouache sur un assemblage de huit feuilles de papier bleu collées à joints couvrants sur lequel ont été collées deux autres feuilles aux contours irréguliers et amincis pour le visage et la main droite. L'assemblage semble avoir été renforcé au verso en étant collé en plein sur au moins deux autres couches de papier bleu, puis l'ensemble a été marouflé sur toile avant d'être tendu et cloué sur la face au pourtour de l'œuvre sur un châssis à clés qui semble du début du XIXe siècle. L'encadrement n'est pas d'origine. La feuillure a été agrandie et dotée de rehausses afin de maintenir le pastel.
H. 01,775m ; L. 01,310m

HISTORIQUE :
Peint entre 1752 et 1755, le pastel est exposé au Salon de 1755 sous le numéro 58 du livret : « Le portrait de madame la Marquise de Pompadour, peint au pastel : de 5 pieds et demi de haut, sur 4 pieds de large » (soit 1,786 m de haut par 1,299 m de large). Collection de la marquise de Pompadour. Peut-être s'agit-il du « tableau peint sous glace, représentant la dite Dame de Pompadour, sans bordure », qui n'a pas été prisé et seulement « tiré pour Mémoire », faisant partie du lot 288 dans l'inventaire après décès des biens de la marquise dressé en son hôtel de la rue du faubourg Saint-Honoré à Paris, actuel palais de l'Élysée, le mercredi 4 juillet 1764 au matin, dans l'une des pièces du premier étage (Cordey, 1939, p. 32). En possession d'Abel François Poisson de Vandières, marquis de Marigny (1727-1781), frère de la marquise, le portrait apparaît dans son inventaire après décès. Il est inventorié le 11 octobre 1781 dans le salon de musique du château de Ménars sous le numéro 1818 : « A l'egard d'un grand Tableau peint en pastel sous glace d'un autre Tableau peint sur Toile et de deux autres Tableaux ovales aussi peints sur Toile Tous quatre dans Leurs bordures Il n'en a été fait aucune prisée Comme étant portraits de famille mais Le present article a été ici tiré pour Mémoire » (Gordon, 2003, p. 73 et 415). Le pastel n'est pas cédé à l'encan lors de la vente après décès organisée au début de l'année 1782 en l'hôtel Marigny, place des Victoires à Paris. Passé en possession de Lespinasse d'Arlet, résidant « rue blanche Chaussée d'Antin, No II division du Mont-Blanc », soit Étienne Joseph de Lespinasse (1727-1809), marquis de Langeac, comte d'Arlet, ou son cinquième fils, Auguste Louis César HippolyteThéodore, qui mourut en 1814 et porta le titre de comte d'Arlet. Entre le 25 février 1796 et le 15 décembre 1800, Lespinasse d'Arlet échange plusieurs courriers avec l'administration du Museum central des Arts afin de lui céder le pastel en échange d'un objet d'art d'une valeur égale à 24 000 livres, soit la somme demandée par La Tour à Mme de Pompadour (A.M.N., D 2). Aucun accord ne fut trouvé, l'administration refusant d'assurer le transport pour pouvoir examiner l'oeuvre. Le 12 ventôse an V (2 mars 1797), Lespinasse écrivait à ce sujet : « Ce tableau est couvert d'une glace dont le volume laisse redouter pour sa fragilité les aller et venues qui pourraient avoir lieu. Il est en outre peint au pastel et le velouté de cette manière est toujours susceptible de se détériorer par les secousses indispensables d'un transport. Au surplus si le Museum ne pouvait accorder a ces remarques toute l'importance qu'elles méritent, je le prie au moins de se servir de la main exercée des préposés qui sont sous ses ordres et de m'accorder ainsi la garantie que je réclame » cité l'étude préalable à la restauration du pastel rédigée en février 2013). Vente « d'une riche collection d'articles curieux de tout genre » [Lespinasse d'Arlet], Paris, maison des divisions supplémentaires du Mont-de-Piété, 45 rue Vivienne, 11 juillet1803, organisée par Paillet et Delaroche, lot 335 : « Un très beau Tableau peint au pastel, par le célèbre Latour. Il représente Madame de Pompadour, de grandeur naturelle, en pied et assise, tenant un Livre de musique, et près d'un bureau où sont posés des Livres et autres accessoires. Ce morceau, le plus grand Ouvrage de cet Artiste, est recouvert par une belle Glace blanche faite exprès à Saint Gobain, et a appartenu à feu Louis XV. » Le portrait est à cette occasion acquis par Alexandre Joseph Paillet (1743-1814), l'un des deux organisateurs de la vente, pour la somme de 500 francs, et aussitôt revendu au Museum central des Arts. Le 19 juillet 1803, le directeur général du musée, Dominique Vivant Denon, écrivait à Paillet : « Mon intention n'étoit point, Citoyen, d'acquérir pour le musée le portrait de Madame de Pompadour par Latour. Cependant, vu la modicité auquel il vous a été adjugé, la crainte qu'il ne se détruise si on se déterminoit à retirer la glace qui le couvre, pour la vendre séparément, m'engage à accepter l'offre que vous faites de me le céder pour la somme de 500 francs, prix de l'adjudication. Je vous adresserai cette somme, et vous prierai de m'en donner un reçu » (Denon, éd. 1999, no 200). Le 4 brumaire an XII (27 octobre 1803), le pastel est transporté au Musée spécial de l'École française ouvert au château de Versailles (A.L., P12 I, p. 23), où il est exposé jusqu'en 1806. Il apparaît dans l'état de 1812 sous le numéro 7. Encore signalé à Versailles par François Lauzan le 10 juin 1823 (A.N., cote 20150040/14, anciennement V3, no 29 de la liste), le pastel fut renvoyé au Louvre le 13 septembre suivant. Il fut inscrit avant 1827 par Morel d'Arleux sur l'inventaire général du musée Napoléon devenu Musée royal, sous le numéro 12973 (A.N.,1 DD 41, t. IX, p. 1740). L'inventaire précise qu'il fut remis à la Chalcographie le 13 septembre 1823 sous le numéro 29. C'est peut-être dans les premières années du XIXe siècle que l'œuvre fut transpercée à proximité de l'œil gauche du modèle et fit l'objet d'une intervention qui consista à découper la toile de marouflage et les papiers de support au niveau du visage afin d'intervenir par le verso et de tenter de renforcer la déchirure, avant la mise en place d'un nouveau châssis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le portrait compte au nombre des œuvres évacuées de Paris. Il est transporté au château de Chambord en septembre 1939. Le 13 octobre 1942, Germain Bazin, conservateur au département des Peintures, procède à un constat d'état qu'il adresse au directeur des Musées nationaux (A.M.N., DA 16 et R 30, dépôt de Chambord, carton 19) : « La surface du pastel n'a subi aucune modification. J'ai distingué sur la surface interne de la glace un peu plus de poussière de pastel que j'en avais vu lors de mon inspection du 6 septembre ; mais ceci peut être dû tout simplement aux meilleures conditions d'examen ; les traces suspectes que j'avais remarquées, sans pouvoir les identifier à coup sûr, le 5 septembre sur la surface interne de la glace n'ont pas évolué ; dans l'éclairage plus favorable de la salle où est placé maintenant le pastel elles m'ont paru être de petits dépôts de poussière ou de poudre de pastels. Ces dépôts de poudre, d'ailleurs peu importants, sont des conséquences inévitables du transport qu'a subi l'œuvre en septembre 1939. [...] Par contre, sur la glace sont apparues un certain nombre de taches qui n'y étaient certainement pas le 6 septembre. Ces taches paraissent dûes à une maladie du verre très épais et qui doit être assez ancien. Elles présentent diverses formes qui correspondent aux différents stades de la maladie. On voit d'abord se préciser, puis grandir, dans l'épaisseur du verre et non sur sa surface interne, une bulle ayant une forme parfaitement sphérique (j'avais vu le 6 septembre, une ou deux de ces bulles que j'avais prises pour des défauts de fabrication du verre) ; cette bulle se teinte ensuite de blanc laiteux [...] ; cette teinte passe à l'orangé puis la bulle crève à la surface extérieure de la glace, laissant sur celle-ci une cicatrice en forme de cupule, légèrement teintée de rouge. Ces taches ou cicatrices ont de 0,001 à 0,002 de diamètre ; elles se trouvent groupées au nombre d'une dizaine environ dans la partie gauche inférieure de la composition vers le pied de la table ; quelques autres isolées sont en stade de formation, ou au stade cicatriciel sur la partie de la glace située en face du corps de la marquise ; l'une d'elles est près du cou. J'ai l'impression que ces macules sont dûs à une désintégration chimique du verre et non à l'attaque par un agent organique. M. André [L. & P. André, réparateurs d'objets d'art des musées nationaux et des monuments historiques, 15 rue Dufrénoy, Paris, 16e], restaurateur d'objet d'art, qui vint près de moi examiner le pastel, me confirma cette impression. » La maladie n'offrant aucun danger pour le pastel, Germain Bazin considéra que l'intervention pouvait attendre : « j'ai estimé que, dans ces conditions, il n'y avait pas urgence à sortir l'œuvre de son cadre, situation qui à plusieurs points de vue, comporte pour un pastel des risques certains, quelque précaution que l'on prenne. J'ai simplement fait consolider le cartonnage très ancien et très mauvais du revers du cadre, cartonnage qu'il y aurait lieu de remplacer par une feuille de contreplaqué. Quand à la glace, il serait préférable de la changer ; pour cela il faudrait prendre sa dimension exacte. Je n'ai pas cru devoir le faire pour la raison suivante : j'ai remarqué que le châssis du pastel était fixé au cadre par des clous, ce qui eût entrainé des ébranlements dangereux pour l'adhérence du pastel sur son support. J'ai pensé qu'il valait mieux que Javouhey notre encadreur, revienne à Chambord avec des pattes d'attache. Il pourra alors décadrer le pastel, prendre les dimensions de la glace, essuyer les impuretés qui maculent celle-ci et gênent un peu la surveillance de l'œuvre et effectuer un réencadrement provisoire, en substituant les pattes d'attache aux clous, ensuite, lorsque l'on sera en possession d'une feuille de contre-plaqué et d'une nouvelle glace, on pourra effectuer un réencadrement définitif et hermétique. Il serait souhaitable que cette opération ait lieu lors des premières gelées, afin d'enfermer dans l'espace clos entre la glace et le pastel un air très sec ». Le 15 octobre 1942, le chef du laboratoire de chimie de la Banque de France, M. Cogniard, précisait que la maladie présentée par le verre était désignée sous le nom de cynérèse. Le 7 décembre 1942, aucune évolution n'était signalée. Le verre fut changé après le retour de l'œuvre au musée du Louvre à une date aujourd'hui indéterminée. Le pastel a fait l'objet en juin 2012 d'un examen.Grâce au mécénat de la société Canson, la restauration a pu être effectuée entre avril et mai 2017. Le pastel a été décadré, les quatre cartons anciens assemblés par des bandes de papier bleu protégeant la toile de marouflage ont été ôtés, permettant ainsi un dépoussiérage de la toile par micro-aspiration et à l'aide d'un chiffon microfibre. Sur la surface du pastel, les filaments de mycélium, les moisissures et les poussières ont été enlevés mécaniquement avec la pointe d'un pinceau désinfecté à l'éthanol ou avec une micro-pipette Pasteur reliée à un aspirateur à faible puissance. Sur les angles, des consolidations ont été faites avec de fines bandes de papier japonais et de la colle d'amidon très peu diluée. Le papier replié sur le bord droit a également été recollé. Sur la partie inférieure de la robe à gauche, les écailles de gouache en soulèvement ont été refixées avec une solution diluée de colle d'esturgeon. Le cadre a enfin été adapté par l'atelier d'encadrement-dorure du musée pour maintenir le nouveau verre de protection de 4 mm d'épaisseur. Avant réencadrement du pastel, la faible tension de la toile de marouflage a conduit, afin de la soutenir et d'en limiter les mouvements, à mettre en place entre les traverses du châssis quatre morceaux de ouate de polyester cousus deux par deux sur deux bandes horizontales de Tyvek. L'ensemble a ensuite été protégé par un panneau de fond constitué d'un assemblage de cartons ondulés de conservation collés à contre-sens dont la face interne est bordée de kraft blanc et la face externe bordée de toile pour en renforcer les bords et empêcher la pénétration de poussière et d'insectes dans les alvéoles du carton (rapport de restauration rédigé à l'issue de l'opération).
Dernière provenance : Lespinasse d'Arlet de Langeac, Auguste-Louis
Mode d'acquisition : achat
Année d'acquisition : 1803


COMMENTAIRE :
Sans doute commandé à Delatour dès 1751, commencé en 1752, le pastel ne sera achevé que pour figurer au Salon de 1755. L'artiste n'avait consenti à faire ce portrait qu'après de longs pourparlers avec le Marquis de Marigny, directeur des bâtiments du Roi et frère de la Marquise. Seule la tête dut être exécutée devant le modèle, ce qui explique qu'elle soit dessinée sur une feuille de papier rapporté. La Marquise est représentée ici auprès de divers attributs symbolisant la littérature, la musique, l'astronomie, la gravure et évoquant son rôle de protectrice des Arts. Elle -même avait profité des leçons de F. Boucher et savait graver à l'eau-forte et au burin : la planche gravée, à droite, porte la mention : 'Pompadour Sculpsit' et fait partie du 'Traité des pierres gravées' édité chez P.-J. Mariette en 1750. Trois études pour la tête sont conservées au musée de Saint-Quentin. Une copie anonyme du XXe siècle est conservée à Versailles, et une autre est passée en vente à Londres (Londres, vente H.G., 11 mai 1923, n° 72) et le baron Charles de Steuben en exécuta une en 1838 pour les Galeries Historiques de Versailles (inv. MV4446). Gravé par Massard, Par L. Flameng et par P. Chenay.(Geneviève Monnier, Inventaire des Collections Publiques Françaises, Pastels des XVIIe et XVIIIe siècles, Musée du Louvre, 1972, n° 74). Christine Debrie, Maurice-Quentin de La Tour, Peintre de portraits au pastel et Peintre du Roi, 1704 - 1788, p. 22-31, repr. p. 27, dans Versalia, Revue de la Société des Amis de Versailles, n° 1, 1998. En analogie parodique à La Lecture, de Pierre-Antoine Baudouin (gouache sur papier, Paris, musée des Arts décoratifs, 26829) et à La Liseuse, dit aussi Femme lisant les lettres d'Héloïse et Abélard, de Bernard d'Agesci (1756-1828), (huile sur toile, Chicago, The Art Institute, 1994-430) lire : sous la direction scientifique de Guillaume Faroult, Fragonard amoureux. Galant et libertin, exposition, Paris, Musée du Luxembourg (Sénat), du 16 septembre 2015 au 24 janvier 2016, Réunion des musées nationaux - Grand Palais , 2015, repr. p.180 Jo Hedley fait un parallèle entre ce portrait et celui de Anne Ford, plus tard Mrs Philip Thicknesse par Thomas Gainsborough (1760, Cincinnati, Art Museum) (L'influence française sur l'art du portrait anglais au XVIIIe siècle, p. 102-134, dans De soie et de poudre. Portraits de cour dans l'Europe des lumières, sous la dir. de Xavier Salmon, Actes Sud, Château de Versailles, 2003). Philippe Hourcade, Parmi les livres de madame de Pompadour, p. 128-141, fig. 1, p. 129, dans Versalia, Revue de la Société des Amis de Versailles, n° 7, 2004. Pastel exposé aile Sully, 2ème étage, salle 45. Neil Jeffares donne ce pastel à Maurice-Quentin de La Tour, portrait de Jeanne-Antoinette de Poisson, marquise de Pompadour (1721-1764) (Dictionary of pastellists before 1800, Londres, 2006, p. 300). Reproduit dans Anna Grochala (dir.), Mistrzowie pastelu, od Marteau do Witkacego, kolekcja Muzeum Narodowego w Warszawie, Musée National de Varsovie , le 29 Octobre 2015 - 31 Janvier 2016, Warszawa : Muzeum Narodowe w Warszawie, 2015, ill.9 p.32 Le pastel a fait l'objet de très nombreuses copies, en reprenant le modèle en pied, à mi-corps ou en buste. On ajoutera ainsi à la liste donnée par Jeffares (www.pastellists.com) la copie du xixe siècle peinte au pastel passée en vente à Paris à l'hôtel Drouot, le 20 octobre 2017 (Me Le Floc'h), lot 82 (0,560 × 0,435 m) figurant la marquise en buste avec des variantes dans l'habit. La copie la plus ancienne fut peinte à l'huile en 1838 par Charles de Steuben (1788-1856) pour les galeries historiques du château de Versailles (inv. MV 4446. Constans, 1995, II, p. 842, no 4766, repr.). Par son cadrage, elle est identique au pastel du Louvre et prouve qu'en 1838 l'œuvre de La Tour avait certainement déjà été diminuée dans sa largeur au moment du changement de châssis sur lequel la toile de marouflage portant les feuilles de papier de l'œuvre avait été fixée. Le pastel a été gravé par Jean Massard (1740-1822), Paul Chenay (1818-1906), pour la Chalcographie nationale, Léopold Flameng (1831-1941) et Adolphe Lalauze (1838-1906). Malgré les nombreuses études qui lui ont été dédiées, le plus célèbre pastel du XVIIIe siècle français n'a pas encore livré tous ses secrets. La personnalité de son modèle, Mme de Pompadour, et la renommée de son auteur, Maurice Quentin de La Tour, ont pourtant piqué la curiosité des chercheurs dès la seconde moitié du XIXe siècle. Malgré cela, de nombreuses inconnues persistent, et ce même si la récente restauration du pastel a permis d'en savoir davantage sur son élaboration et ses transformations postérieures. Reprenons donc tous les éléments dont nous disposons pour une nouvelle fois souligner l'importance de l'œuvre. La première mention du portrait date de 1752. Le 20 février, le frère de Mme de Pompadour, le marquis de Marigny, écrivait en effet à l'artiste : « Ma sœur voudrait sçavoir Monsieur dans quel tems vous comptés faire son portrait. Je me suis chargé de vous en écrire, vous me ferés plaisir de me le mander par votre réponse que j'attendrai demain et que je pourrai recevoir de bonne heure si vous voulés bien me le faire tenir par la voye des voitures de Versailles » (A.N., O1 1907, cité par Besnard et Wildenstein, 1928, p. 50-51). Le 11 juillet suivant, La Tour indiquait à Marigny : « Monsieur, J'ay mil remercimens à vous faire sur les bontés que vous avez pour mon bon ami M. Restout et sur ce que vous avez bien voulu répondre de mon zèle à Made la Marquise de Pompadour. - Il est tel que je partirais sur le champ, si les portraits n'avaient grand besoin d'être préparés icy pour réparer le dommage qu'ils ont souffert ; je ne sçais le temps qu'il me faudra parceque le chagrin que j'en ay eu m'a furieusement dérangé la cervelle, mais vous pouvez compter que je feray tous mes efforts pour me hatter, les bontés du Roi et la manière obligeante dont vous m'annoncez cette grâce me pénètre de reconnaissance... » Le 13, il ajoutait à sa lettre non envoyée à temps : « Je ne suis plus si fâché d'avoir ignoré l'heure de la poste, puisque je puis, dans cette même lettre, vous faire part de ma situation, je ne sçay pas si ce sont les efforts que j'ay fait, hier après la lecture de votre lettre ou la complication d'idez differentes, mais je me trouve dans un abbatement, un aneantissement, qui me fait craindre la fièvre, la teste vuide, étonnée et tout le corps brisé, je ne sçay que devenir, j'ay cru que le lit reparerait mes forces, il n'a rien opéré, je dois essayer si l'air me fera du bien, car je suis bien pressé de répondre au plus vite aux marques d'amitié dont vous m'honorez » (ibid., p. 51). Le maître cherchait-il à gagner du temps ? Le 24 juillet, Marigny lui répondait : « Lorsque je receus votre lettre du 11 de ce mois, Monsieur, je la communiquai à ma sœur, à qui il fut aussi impossible qu'à moi d'en interpretter le sens du post scriptum. Elle me dit de vous écrire pour sçavoir déterminément si vous vouliés venir, ou non, et je l'eusse déjà fait si je n'avois trouvé l'interprétation désirée dans la lettre que vous avés écrite à M. Gabriel ; quoy Monsieur, vous luy faittes part du chagrin que vous avés des accidents arrivés en conséquence aux deux portraits de ma sœur et vous ajouttés que j'en suis la cause innocente ? Pour innocente, cela est très certain, mais expliqués moy, je vous prie, en quoy j'ai pu en être la cause ? [...] Ayés agréable, Monsieur, de m'écrire quels sont les griefs que vous pouvés avoir et quels sont les soeur peut elle compter d'être peinte par vous ? elle est impatiente de vous voir finir son portrait, faittes honneur aux sentiments dont vous faittes profession en venant au plustot terminer ce portrait pour la satisfaction de ma soeur, à qui vous devés de la reconnoissance, et pour celle de son frère, à qui vous deviés plus d'amitié [...] » (ibid., p. 51). Particulièrement précieux, cet échange de correspondances prouve que l'artiste avait reçu commande avant février 1752 et qu'il avait obtenu de la marquise quelques séances de pose au cours desquelles il avait peint « deux portraits », très certainement des études du visage, et que celles-ci avaient semble-t-il été endommagées. Malgré l'insistance de Marigny, le portrait n'avait été achevé qu'en 1755, année au cours de laquelle il avait été exposé au Salon en août et septembre. Trois années s'étaient donc écoulées avant que l'œuvre ne fût prête. Elles avaient peut-être été marquées par d'autres séances de pose dont quelques contemporains se firent l'écho. Dans son Abecedario, Pierre Jean Mariette relatait ainsi : « Ce n'est pas le seul mauvais personnage qu'il ait joué à la cour. Il y a quelquefois pris des libertés qu'à peine se seroit-il permis avec ses égaux. Une fois qu'il y peignoit le portrait de Mme la marquise de Pompadour, le Roi présent, sa Majesté fit tomber la conversation sur ses bâtiments, sur ceux qu'il faisoit construire alors, et en parloit avec une sorte de complaisance. Tout à coup La Tour prend la parole, et, feignant de se l'adresser à lui-même : Cela est beau, dit-il, mais des vaisseaux vaudroient mieux. Il disoit cela au moment que les Anglois venoient de détruire notre marine. Le roi en rougit et se tut, tandis que le peintre s'applaudissoit en secret d'avoir dit une vérité dans un pays qui ne la connoît pas ; il ne sentit pas qu'il avoit commis une imprudence qui ne vaut que du mépris » (1854-1856, III, p. 75-76). L'anecdote avait peut-être ensuite inspiré celle donnée par l'éloge anonyme publié à Paris par l'Almanach littéraire pour l'année 1792 (p. 97-98) : « Quelques temps après [avoir portraituré Louis XV], la Tour fut mandé à Versailles pour faire le portrait de Madame de Pompadour. Il répondit brusquement : "dites à Madame que je ne vais pas peindre en ville". Un de ses intimes amis (il était digne d'en avoir) lui observa que le procédé n'était pas honnête. Il promit donc de se rendre à la Cour, au jour fixé, mais à condition que la séance ne serait interrompue par personne. Arrivé chez la favorite, il réitère ses conventions, et demande la liberté de se mettre à son aise. On la lui accorde. Tout à-coup il détache les boucles de ses escarpins, ses jarretières, son col, ôte sa perruque, l'accroche à une girandole, tire de sa poche un petit bonnet de taffetas et le met sur sa tête. Dans ce déshabillé pittoresque, notre Génie, ou, si on l'aime mieux, notre Original commença le Portrait. Il n'y avait pas un quarr-d'heure que notre excellent était occupé, Lorsque Louis XV entre. La Tour dit, en ôtant son bonnet : vous aviez promis, Madame, que votre porte serait fermée". Le Roi rit, de bon coeur, du costume et du reproche du moderne Apelle, et l'engage à continuer. "Il ne m'est possible d'obéir à Votre Majesté, réplique le Peintre, je reviendrai lorsque Madame sera seule". Aussitôt il se lève, emporta sa perruque, ses jarretières, et va s'habiller dans une autre Pièce, en répétant plusieurs fois "je n'aime point à être interrompu". La belle favorite céda au caprice de son Peintre, et le portrait fut achevé. Elle est peinte grande comme nature, un volume de l'Encyclopédie est auprès d'elle sur un fauteuil. Ce grand ouvrage est le chef-d'œuvre du genre. » Témoignage de la liberté d'attitude du pastelliste, même à la Cour, ces deux textes ont conduit certains historiens de l'art à imaginer que La Tour avait peint le pastel en présence de la marquise. Cela n'a certainement pas été le cas, tout simplement en raison du format exceptionnel du portrait. Les séances de travail espérées et données par la marquise n'avaient pour autre propos que de permettre à La Tour de fixer les traits de son visage sur les préparations. Le portrait en pied avait été, lui, exécuté dans le calme de l'atelier, très certainement tout au long de l'année 1754 et au début de l'année suivante, le maître ayant été très sollicité auparavant. Rappelons qu'au Salon de 1753 il avait en effet exposé dix-huit de ses portraits. Trois préparations pour le visage de la marquise sont aujourd'hui associées au pastel du Louvre. Elles sont demeurées dans le fonds d'atelier du maître (Saint-Quentin, musée Antoine-Lécuyer). Si on les considère en tenant compte de la correspondance échangée en 1752, on peut constater que l'une des trois (fig. 45. Inv. LT 71) pouvait compter au nombre des deux portraits qui avaient été abîmés. L'étude présente en effet un état de surface très usé, comme si elle avait été humidifiée. La seconde (Inv. LT 109) n'offre pas la même ressemblance, le visage paraissant plus jeune, les lèvres plus fines, au point même de faire douter de l'identité du modèle. Présentant exactement la même orientation que sur les deux autres préparations et sur le grand pastel, elle compte pourtant certainement au nombre des études préparatoires. Marquée par une grande auréole, sans doute due à l'usage non maîtrisé d'un fixatif, l'œuvre était peut-être aussi l'une de celles qui avaient souffert et que La Tour avait tenté de sauver en la retouchant au point d'en dénaturer le modèle et de ne plus pouvoir l'utiliser pour peindre le portrait définitif. La troisième (fig. 47. Inv. LT 12) est assurément la plus proche du visage de la marquise tel qu'il apparaît sur l'effigie du Louvre. Les trois préparations demeurées dans le fonds d'atelier semblent révéler, par l'orientation du visage, que La Tour avait déjà une idée très précise de l'attitude qu'il désirait donner à son modèle. Peut-être l'eut-il même dès le début, car les autres études associées dans l'œuvre du maître au nom de la marquise soit ne sont pas de sa main, soit ne représentent pas Jeanne Antoinette. À cet ensemble préparatoire, il convient enfin d'ajouter une quatrième préparation, celle que La Tour colla sur le pastel. Comme pour toutes ses œuvres les plus grandes, l'artiste dut assembler et superposer plusieurs feuilles de papier bleu afin d'obtenir la surface désirée. Huit feuilles furent ainsi nécessaires, collées entre elles à joints couvrants en quatre bandes horizontales divisées par un joint couvrant vertical passant à peu près au centre de la composition. Avant que l'ensemble ne soit marouflé sur une toile assez fine, il semble que La Tour avait pris soin de renforcer son assemblage sur certaines zones, peut-être pas sur la totalité de la surface, au moyen d'au moins deux épaisseurs de papier. Après avoir couvert son papier d'une « légère teinture d'ocre jaune à l'eau simple délayée avec un peu de jaune d'œuf », recette qui lui permettait d'éteindre le ton bleu de son papier, l'artiste avait probablement tracé son personnage et les accessoires, puis il avait collé deux nouvelles feuilles de papier, l'une portant la tête et le buste de la marquise, l'autre sa main droite. Ces deux morceaux étaient volontairement de format irrégulier et avec des contours défibrés et amincis afin de pouvoir s'intégrer parfaitement à la composition sans être perceptibles. Pour des raisons techniques, nous pensons que ces collages n'avaient pu se faire que sur une surface qui n'était pas encore couverte de pastel ou qui avait été grattée s'il s'agissait d'un repentir. Pour le visage, le but avait été de ne pas le peindre directement sur une zone où l'assemblage du papier aurait nécessité d'être dissimulé par une importante épaisseur de pastel et aurait pu devenir visible avec l'évolution des matériaux. C'est pourquoi le visage et le buste avaient été tracés sur une pièce de papier, très probablement en l'absence du modèle, mais en utilisant et reproduisant la troisième préparation. Pour bien coller, le papier ne devait porter que les linéaments du visage tracés au fusain car sinon il eût été impossible d'appuyer sur une surface de pastel, même fixé, sans détruire ce qui avait été peint. C'était donc seulement une fois collée que la feuille avait pu être mise en couleur et chargée en pigments afin de transcrire les tons au naturel, de raccorder la partie à l'ensemble et de dissimuler les contours de l'empiècement. Au sujet de cette dernière opération, on peut légitimement s'étonner de voir des hachures posées dans un ton bleu clair à gauche et à droite du visage. Elles sont si sommaires et si visibles que l'on pourrait presque se demander si elles ne furent pas ajoutées par le restaurateur qui fut appelé à intervenir sur le visage après qu'il eut été percé à gauche de l'oeil gauche, probablement au début du xixe siècle. Ayant tenté sans succès de remettre le support dans le plan par l'arrière en détachant la toile de marouflage de son châssis d'origine pour permettre de la découper ainsi que les épaisseurs de papier suivant un tracé ovale localisé à l'emplacement de l'accident (fig. 48), il s'était semblet-il finalement contenté de recharger en pastel la zone de déchirure et avait peut-être été contraint d'amputer légèrement la composition originale lorsqu'il lui avait fallu retendre la toile sur un nouveau châssis. Nous ne pouvons affirmer qu'il avait alors également ajouté les hachures, car certains autres pastels du maître présentent parfois des stries qui, tout en étant moins systématiques et visibles, n'en sont pas moins similaires. Contrairement à la pièce de papier portant le buste et la tête voulue dès le début par La Tour, celle sur laquelle s'inscrit la main droite s'explique certainement par une légère modification de l'attitude du modèle. L'artiste reprit l'orientation de la main et, pour ce faire, fut contraint de gratter son premier travail pour pouvoir coller le morceau de papier de format irrégulier sur lequel il peignit la main qu'il est aujourd'hui possible d'admirer. Ce ne fut pas là sa seule hésitation. Non seulement il modifia sur la console l'emplacement du tome IV de l'Encyclopédie, qui dans un premier temps se trouvait plus à gauche (le titre est encore lisible et ne peut être confondu avec celui de l'Histoire naturelle de Buffon que citait Grimm), mais il fut aussi contraint de retravailler le pied gauche de la marquise. Pour le livre, il lui fut seulement nécessaire d'effacer au doigt et de recharger avec un peu de pastel la reliure du tome III de l'Esprit des Lois. Pour la mule à talon, il dut en revanche abraser le papier, soit pour faire totalement disparaître son premier jet et ainsi obtenir une surface pelucheuse permettant de fixer les nouveaux pigments, soit parce qu'il avait été nécessaire de faire disparaître une tache créée par le sel parfois contenu dans certaines couleurs. Eu égard aux dimensions de l'œuvre, à la richesse de la composition et au grand nombre d'accessoires, ce ne sont là que d'infimes modifications et l'on imagine le soin avec lequel La Tour avait pensé son œuvre. Orgueilleux de sa maîtrise, le pastelliste décida de ne présenter que cette œuvre au Salon de 1755. Elle divisa les amateurs, les uns enthousiastes, les autres plus chagrins. Dans les Affiches, annonces et avis divers, on put ainsi lire : « Il n'y a qu'un seul Portrait de M. de la Tour, mais très intéressant & d'une grande beauté. C'est celui de Mad. la Marquise de Pompadour, en Pastel. La vérité, la grace, la richesse semblent y disputer de prix. On s'arrête à considérer un livre de Musique en papier, qui par l'illusion du relief rappelle le rideau de Parhalius. » Pour l'auteur de la Lettre à un partisan du Bon Goût sur l'Exposition des tableaux dans le grand Sallon du Louvre le 28 août 1755, il n'en allait pas autrement : « N'allez-vous pas maintenant, ajouterons mes respectables Censeurs, sçavoir gré à M. de La Tour de l'esprit et des graces que toute la France admire dans le portrait en pied de la belle Laure qui, par la délicatesse de son goût, inspire nos Pétrarques modernes ? C'est à la vérité un très grand et très brillant pastel où l'on voit toute la force et tout le fini de l'huile. Mais il ne faudroit pas être étonné de ce vif intérêt qui fixe tous les regards. Interrogés chaque Artiste en particulier, et il vous dira que cette noblesse respectable qu'on applaudit, que cette douceur enchanteresse qui subjugue les cœurs ne sont que de très foibles expressions de ce que la reconnoissance a gravé dans le coeur de tous les Peintres. » Dans sa correspondance, le baron Melchior von Grimm se faisait arbitre : « M. de La Tour, si célèbre par ses pastels, a exposé celui de Mme de Pompadour assise devant un bureau, tenant un papier de musique, ayant sur la table des plans, des dessins, tout ce qui peut caractériser l'amour des arts : l'Encyclopédie, l'Esprit des lois, l'Histoire naturelle, c'est être en bonne compagnie. Le portrait a été généralement déprisé ; trop, à mon avis ; la composition en est très riche ; il y a dans le dessin et dans l'exécution des détails admirables, mais le total est froid ; la tête est trop tourmentée et fatiguée ; à force de retouches, M. de La Tour lui a ôté ce premier feu sans lequel rien ne peut réussir en fait d'art. » Pierre Estève se voulait, lui, beaucoup plus critique dans la Seconde lettre à un partisan du Bon Goût : « Vous devez vous rappeler que M. Vanloo a représenté dans un dessus de porte une très belle sultane prenant le caffé que lui présente une Négresse [no 17 du livret du Salon de 1755]. Cette Sultane est un profil : on dit qu'elle ressemble parfaitement à la personne que M. de La Tour a eu dessein de peindre dans son pastel en grand. Pour moi je ne puis me persuader que ces deux figures ayent été travaillées d'après la même tête. Si la Sultane est ressemblante, le pastel ne l'est pas. Il est vrai que ce pastel n'a pas été posé par le Peintre d'une façon avantageuse. On n'apperçoit que les trois quarts de la tête et il auroit fallu la voir en face. Les regards sont perdus et cela donne un air de distraction qui ne va pas avec les graces. La coeffure n'est pas mieux imaginée. Elle est en cheveux relevés par derriere et sans poudre. Quoique la plûpart des femmes se coeffent de cette manière, il auroit fallu donner à la tête un ornement plus pictoresque. On diroit que M. de La Tour s'est proposé de faire le portrait d'un Philosophe. Ne sçait-il pas que la distraction et la négligence des ajustemens doivent être évités, lorsqu'on veut représenter une belle femme ? Ce Peintre habile a eu trop de confiance en son art. Il a cru mal-à-propos qu'il pourroit rendre la nature sous l'aspect le moins favorable, sans lui faire perdre ses agrémens les plus précieux. Afin que son hardi projet n'échappât pas aux Spectateurs, il a eu le soin de placer sur une table qui est dans ce tableau des livres très-sérieux. De pareils voisins ne sympathisent pas avec l'agréable, leur proximité est contagieuse. En présence de l'Encyclopédie, on est forcé de prendre un maintien grave et sévère. La tête de ce portrait est bien peinte, il en est de même du corps ; mais le col qui devroit unir l'un avec l'autre ne le fait pas. M. de La Tour y a placé des ombres fausses, et qui ne produisent pas un bel effet. On ne sait de quelle étoffe est la robe et les plis pouvoient être mieux. Dans ce même tableau on voit une estampe gravée, au bas de laquelle, on lit Pompadour sculpsit. » Et dans sa Réponse à une lettre adressée à un partisan du bon goût, une autre plume anonyme enchérissait : Personne ne reconnoît Laure sous cette grande et belle glace. Vous diriez que M. de La Tour étoit de mauvaise humeur quand il fit ce portrait. Il a enlevé à l'original toutes ses beautés. Loin d'avoir pêché en prêtant des grâces à la nature, ce qui eût été une faute pardonnable, tout le monde vous dira qu'il a fait le contraire. Quel défaut pour un Peintre ! » Partagée, la critique s'accordait donc à penser que l'image, sa mise en scène, son propos revenaient entièrement au pastelliste. C'était peut-être lui faire beaucoup d'honneur ou bien adroitement réduire la part que la marquise de Pompadour avait sans doute prise dans l'élaboration de l'œuvre. Comment imaginer que le choix de tous les accessoires, porteurs de tant de messages, ait été le seul fait de l'artiste ? En dénonçant le portrait d'un philosophe entouré de livres sérieux, et en déplorant que l'œuvre n'ait pas été seulement l'image d'une belle femme, Estève ne critiquait-il pas indirectement les prétentions de la marquise ? Depuis la crise religieuse de Louis XV en 1751, Mme de Pompadour ne s'affichait plus en maîtresse auprès du souverain, mais en amie attachée à sa gloire et à celle de l'État. Pensant « philosophiquement » selon Voltaire, tout en s'ouvrant à la dévotion et à la pratique religieuse sans doute par besoin mais aussi pour complaire à la famille royale, elle chercha dans ces années 1750 à changer son image et multiplia les commandes de portraits, qui furent pour la plupart présentés au public à l'occasion du Salon. Le pastel de La Tour joua bien évidemment un rôle d'importance dans cette reconquête de l'opinion publique et d'une partie de la Cour. Dans un intérieur qui avait été inventé par le pastelliste sans volonté de restitution exacte et se devait d'évoquer les appartements au goût du jour, Mme de Pompadour s'affichait en femme à la mode, en protectrice des arts, en artiste et en femme d'esprit sensible aux idées nouvelles. La femme à la mode l'était à la fois par la manière dont elle paraissait vêtue et par son cadre de vie. En tant que personnalité publique, la marquise avait toujours été très attentive à son apparence. Aussi avait-elle peut-être prêté à Maurice Quentin de La Tour la somptueuse robe à la française dont elle était vêtue. Taillée dans une pièce de lampas broché de fils d'or formant un motif de palmes et de fils de soie dessinant des rameaux fleuris, la robe est doublée de soie gris perle et s'enrichit d'une pièce d'estomac triangulaire à échelle de nœuds de taille décroissante, d'une modestie autour du décolleté, de trois rangs d'engageantes de dentelle de Valenciennes ou d'Alençon prolongeant les manches, d'une jupe faite de la même étoffe que la robe et d'un ou plusieurs jupons également bordés de dentelles. Témoignage de l'excellence des soyeux lyonnais, l'habit faisait de la marquise la plus belle des ambassadrices du savoir-faire à la française. L'attention portée par le maître à chacun des accessoires appartenant à sa composition le soulignait également tout en montrant que la dame aimait à s'entourer des plus belles créations de la Rocaille, avec les lambris à fond bleu et mouluration chantournée et dorée, la console ou la table en bois sculpté et doré, le canapé et le fauteuil « à la reine » dont les dossiers sont garnis de tapisseries florales rappelant celles tissées à la manufacture des Gobelins sur les cartons de Maurice Jacques, le tapis de la Savonnerie traité dans une perspective chromatique d'une folle audace, le tableau nordique de paysage et la potiche bleu et blanc chinoise, tous deux emblématiques de ce que les collectionneurs les plus avertis recherchaient à l'époque. En protectrice des arts, Mme de Pompadour passait commande aux manufactures royales, aux artistes et aux artisans qui travaillaient pour la Couronne, mais aussi aux compositeurs, ce que pouvaient symboliser la guitare baroque posée sur le canapé et la partition qu'elle tenait en main. Ces deux accessoires rappelaient aussi ses dons musicaux. Formée au chant et au clavecin dès son enfance, Jeanne Antoinette donnait à Versailles concerts et représentations qui souvent lui permettaient de se mettre en scène. Elle avait été également initiée au dessin par François Boucher, à l'eau-forte par Charles Nicolas Cochin le Jeune et à l'art de l'intaille et du camée par Jacques Guay, et tirait quelque vanité des œuvres dont elle était l'auteur. Aussi La Tour avait-il pris soin d'ajouter à sa composition le carton à dessins mais également, posé sur la console, un recueil portant le titre de « Pierres gravées » qui pouvait évoquer la « Suite d'estampes gravées par Madame la Marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du roi », ensemble de cinquante-deux planches gravées à l'eau-forte et au burin que la marquise avait achevé en 1755, soit la même année que le pastel, mais surtout le Traité des pierres gravées publié en deux volumes en 1750 par Pierre Jean Mariette. L'estampe posée sur la console reproduit en effet l'une des planches de cet ouvrage (p. 208-209). Ainsi que le confirment les quelques lignes ajoutées sous l'image, on y reconnaît le graveur de pierres fines à son travail et les divers instruments qu'il utilise. En courtisan averti, La Tour avait même ajouté la mention « Pompadour Sculpsit », soit « Pompadour grava », ce qui n'était aucunement la vérité puisque la planche avait été exécutée par le comte de Caylus d'après un dessin d'Edme Bouchardon. Selon Jean-François Méjanès (2002, p. 56), l'artiste avait également tronqué la partie droite de l'estampe où figurait le buste de Louis XV, suivant en cela le souhait de sa cliente ou ne jugeant pas approprié d'afficher un lien que tous connaissaient déjà. Si l'idée est séduisante, elle n'est cependant pas assurée car la disparition de l'image du souverain peut aussi fort bien s'expliquer par le fait, ainsi que nous l'a avons déjà indiqué, que le pastel a été réduit en largeur. Du coup, l'on comprendrait mieux que la lettre de l'estampe soit amputée de plusieurs mots (fig. 51), en particulier de « laquelle » et de « lorsqu'il opère » (Représentation de la situation dans l[aquelle] / est le graveur en pierres fines Lor[squ'il opère] / et des divers instruments). Enfin, les livres sont les derniers accessoires dont la présence n'est, dans cette composition foisonnante, assurément pas le fruit du hasard. Remarqués et dûment cités par la critique du temps, ils font du pastel un plaidoyer pour les idées nouvelles et donnent à Mme de Pompadour une ouverture d'esprit que ses détracteurs se sont toujours interdit de lui reconnaître. Succès d'édition depuis sa parution en 1590, le drame pastoral du Pastor Fido écrit par Giovan Battista Guarini pouvait être une allusion, de par son histoire, à la passion de Louis XV pour la chasse, tout en soulignant à nouveau le goût prononcé de la marquise pour le théâtre. La Henriade de Voltaire, l'Esprit des Lois et le tome de l'Encyclopédie distillaient de tout autres idées. Dédié à la gloire d'Henri IV, le premier plaçait en avant un auteur que le souverain n'appréciait pas et pouvait être perçu comme une critique de la monarchie absolue de l'époque, bien moins tolérante et éclairée que celle que le bon roi avait exercée. Paru en 1748, le texte de Montesquieu avait été mis à l'Index par l'Église en décembre 1751, farouchement opposée à la séparation des pouvoirs et à la monarchie constitutionnelle prônées par l'ouvrage. L'Encyclopédie n'avait pas non plus trouvé grâce aux yeux des autorités. Le 7 février 1752, un arrêt du Conseil d'État en avait interdit les deux premiers volumes parce que l'on avait jugé que certains des textes défendaient des idées contraires à la religion et à l'autorité des rois. L'interdiction levée en 1754, le troisième tome avait pu paraître et le quatrième avait été annoncé pour novembre de la même année. Dans cette nouvelle publication, l'article sur la constitution Unigenitus qui condamnait le jansénisme hostile à l'absolutisme devait à nouveau déclencher les foudres des jésuites et des jansénistes. La plupart de ces ouvrages, dont Philippe Hourcade a démontré en 2004 qu'ils avaient été peints dans des formats totalement inventés afin d'en accentuer l'importance, mettaient donc en valeur des idées ou des personnes que Louis XV n'aimait pas. Devait-on cette audace à Mme de Pompadour ou à Maurice Quentin de La Tour ? Le pastelliste avait beaucoup à perdre avec une telle provocation. Forte de son réseau à la Cour et dans le monde de la finance, la marquise pouvait à son aise, elle, manifester sa liberté de pensée. Son portrait le lui avait indéniablement permis (X. Salmon, 2018). « Chez les « femmes savantes » de Boucher, l'apparence, la coquetterie et la robe sont des éléments primordiaux alors que chez Maurice Quentin de La Tour, en revanche, la Pompadour donne plus nettement l'image d'une femme érudite, entourée d'ouvrages littéraires et philosophiques, d'une partition musicale et d'une carte annotée » (A. Ribeiro, 2020). Bibliographie : S. de La Rochefoucault, "Portrait d'une robe à la française" in Grande Galerie, mars-mai 2013, n°23, p. 114. X. Salmon, « Pastels du musée du Louvre XVIIe -XVIIIe siècles », Paris, Louvre éditions, Hazan, 2018, cat. 90, p. 182-191 X. Salmon, "Les Secrets de Madame de Pompadour" in Grande Galerie, été 2018, n°44, pp.60-61. neiljeffares.wordpress.com/2018/07/12/the-louvre-pastels-catalogue-errata-and-observations, n° 90. R. Hoisington, "Xavier Salmon, Pastels in the Musée du Louvre: 17th and 18th Centuries", dans "Master Drawings", Vol. 57, Number 4, Winter 2019, pp. 525- 532 A. Ribeiro, « Boucher und die Mode » in « François Boucher Künstler des Rokoko », ed. A. Reuter, cat. Exp. Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle, 14 novembre 2020 - 6 avril 2021, Köln, Wienand, 2020, pp.174-177, fig.2, p. 175, note 4, p.177 Oliver Wunsch: Neil Jeffares "Maurice -Quentin de la Tour", dans Master Drawings, Vol. 61, Number 4, Winter 2023, p. 549-552

INDEX :
Collections : Lespinasse d'Arlet de Langeac, Auguste-Louis
Lieux : Chicago, The Art Institute, oeuvre en rapport, Saint-Quentin, musée, oeuvre en rapport, Versailles, Musée national du château, oeuvre en rapport, Paris, Musée des Arts décoratifs, oeuvre en rapport, Londres, Marché de l'Art, oeuvre en rapport, Cincinnati, Art Museum, oeuvre en rapport
Personnes : Pompadour, Jeanne Antoinette Poisson, marquise de - Marigny, Abel-François Poisson de Vandières, marquis de+ - Boucher, François+ - Gainsborough, Thomas+ - Flameng, Léopold, gravure en rapport - Mariette, Pierre-Jean, oeuvre en rapport - Steuben, Charles, oeuvre en rapport - Massard, Jean, gravure en rapport - Chenay, Paul, gravure en rapport - Baudouin, Pierre-Antoine, oeuvre en rapport - D'Agesci, Bernard, oeuvre en rapport - Ford, Anne, Mrs Philip Thicknesse+
Sujets : portrait
Techniques : pastel

REFERENCE DE L'INVENTAIRE MANUSCRIT :
vol. 11, p. 325